Publié le 14/02/2022 - 6 minutes de lecture

Une nouvelle rédactrice chez MARCEL ! Elle s’appelle Madame Patrimoine ou Julie pour les intimes. Son premier article : une déclaration d’amour à notre département (rien que ça). Bonne lecture !

Impressions de Haute-Loire
par Julie Garroux – Janvier 2022

Il est une terre où s’élève la brume comme une voix des légendes. Elle entraîne dans son sillage les paroles d’un conteur et l’on entend en sifflement les veillées infinies des feux de village, le claquement des fuseaux de dentelles entre les mains des femmes, l’éclat métallique d’une épée au sommet des châteaux millénaires, le chant médiéval des voûtes aux abbayes …
On entend même surgir le terrible rugissement d’un loup solitaire au fond de l’obscurité comme écho troublant d’une bête qu’en Gévaudan on croit encore se réveiller dans la nuit noire. Cette terre raconte ses histoires à chaque atmosphère qu’elle crée, les jours de pluie, les jours de soleil, dans l’aube ou l’aurore. Aux lueurs des crépuscules. Le paysage alors devient le livre aux évocations et si cette brume s’invite, alors elle raconte un peu plus.
Une brume nébuleuse qui attrape nos imaginaires et réinvente en nous l’histoire de cette terre qui nous habite. Glissant là, innocente sur les herbes vertes dans le froid du matin, accrochant en silence la cime des arbres dont on brise la quiétude au son des hommes et femmes qui vivent et s’animent.
Une terre sur laquelle entrent les rayons du jour, alors que les sucs volcaniques se tendent et s’étirent là-bas sur les socles du Velay. Où le Puy s’éveille en tournant son regard sur la forteresse de Polignac, contemplant ce géant au-dessus des nuages. Et puis ce soleil vient jusqu’entre les perles de rosée, caresser les roches grises fouettées par le vent qui évapore les dernières étoiles endormies au lit des flots de la Loire.

Le jour levé, il y a alors dans sa course une pierre noire qui fait les fermes d’antan, où les volcans colériques deviennent le toit des familles. Il y a les chapelles lumineuses des pics urbains qui brillent chaque nuit d’été sous la toile peinte en bleu foncé. Il y a un cloître aux colonnes sculptées aux confins d’un pays de Brioude. On voit passer le mât d’une Hermione et son vent d’Atlantique, dans le chant de liberté d’un enfant du pays, qui s’en va, marquis, marquer le pays des libertés.

En contemplant le paysage, il y a de petites maisons de creux de village pour les béates, les lavoirs qui font la vie animée, les croix dressées contre les soleils, pluies, vents et froids. Il y a les fours éteints et sauvés, il y a les moulins. Parfois, au lit des rivières, il ne reste plus rien si bien qu’on traverse les villages et leurs fantômes, avec le sentiment qu’ils sont dans un autre espace temps, à vivre et faire.

Il y a des sommets soufflés par le vent dominant les herbes de Haute-Loire. On pourrait imaginer comme une tribu antique de géants merveilleux assis là. Des petits prodigieux Capala, Cènueil ou Denise, une magicienne musicienne qui donna un fossile humain et des orgues de basalte. D’autres plus majestueux encore, Bar, Devès dont le seigneur et capitaine est celui que l’on nomme Mezenc. Et il y en a un que les hommes ont dressé au champ d’honneur dans les heures graves et courageuses de juin, un dont le nom – Mouchet – s’épingle en médaille au veston de la Résistance.

Dans cette contrée aussi, des châteaux accrochés aux parois pour ne pas s’enfoncer dans l’eau claire d’un fleuve naissant, dont le flot timide s’apprête à donner un sublime ruban irisé aux paysages de France. La Loire en sa terre mère s’enfonce dans les roches comme en des bras qui voudraient la garder encore un peu uniquement pour elle. La garder ici dans son pays avant qu’elle ne devienne ce grand fleuve, sauvage, ivre de l’océan et dont le voyage franchit une à une les lignes que les hommes découpent sur le territoire. Le fleuve qui s’en va au département voisin et s’enroule comme un lien fraternel et taquin autour des poignets d’une Haute-Loire et d’une Loire s’unissant par l’histoire, par la force des bras venue renforcer les rangs de l’ère industrielle.

Il semble alors qu’à travers les forêts, les plaines puis les sucs, on forge depuis mille ans et pour encore mille autres, un sentiment si particulier où notre regard se trouble d’une grandeur et d’un sentiment de plénitude. Qu’elle est belle cette terre qui veille depuis toujours, gardienne des âmes, des triomphes de son cœur de feu, des étendues enneigées, des cheminées de pierre, des rires d’enfants sur les vélos, du klaxon de l’épicier ambulant. Gardienne des étés de moissons, des lumières étranges et spatiales des moissonneuses qui traversent les villages à la nuit tombée, des fêtes en bal ou en vogue, des parties de cartes …
Cette terre qui dans la nuit fraîche ramène quelques unes de nos craintes en marchant seul dans les ruelles des hameaux à peine éclairées, les bruits inquiétants et les lumières des vies dans chaque maison. Elle rappelle le souvenir des habitants passés qui, regardant comme nous, observaient un village, une maison familière, reposaient des bras fatigués d’un jour d’hiver, se sentaient chez eux.

La Haute-Loire est une terre de mémoire, disparue un temps, retrouvée, sage et consciencieuse. Une mémoire des êtres mais surtout de l’histoire, grande et petite, qui s’adresse à nous en chaque instant. Et comme une flamme, elle ravive aussi des odes éternelles à l’immensité qui nous surplombe là-haut, autour, partout depuis cette planète. Elle dégage subitement les forêts, les villes, les ronces, elle étale la plaine, les prairies et plus autour, elle ouvre nos horizons et nos yeux. La Haute-Loire, lorsqu’on est seul un instant à regarder le ciel, rallume une à une les étoiles, révèle les astres filants, attrape toutes les pépites de l’univers jusqu’à offrir une voûte céleste parée de la voie lactée toute entière. Nous ne sommes alors plus au monde, mais désormais simples voyageurs, passeurs discrets, peut-être observateurs, tête levée, air ébahi et l’impression soudain que tout est là, accroché à nos yeux épris.

JULIE

 

Julie a rédigé cet article.

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