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Publié le 07/02/2023 - 7 minutes de lecture
A l’occasion de la 31ème édition du festival Drôle d’endroit pour des rencontres qui avait lieu du 27 au 29 janvier au cinéma Les Alizés (Bron, Rhône), on a rencontré le réalisateur Rachid Hami et l’acteur Karim Leklou pour nous parler du film Pour la France.
Rachid Hami s’est inspiré de l’histoire de son frère pour en faire une œuvre de fiction poignante et éminemment personnelle. En 2012, son frère disparaît tragiquement lors d’un bizutage qui tourne mal, à l’École Militaire de Saint-Cyr. Onze ans plus tard, il sort Pour la France, un film intelligent et lumineux, bien que relatant un destin tragique. Les faits se déroulent dans un triple espace-temps – France, Algérie, Taïwan – et Rachid Hami maîtrise avec brio les esthétiques qu’il insuffle aux différentes parties du film.
Comment vous est venue l’idée de raconter l’histoire de votre frère au cinéma ?
Rachid Hami : Au départ, j’avais l’idée de faire un film juste sur la partie taïwanaise. A la suite du décès de mon frère [en 2012, ndlr], j’ai commencé à écrire ce projet en 2013 et il m’a fallu beaucoup de temps. Entre temps, j’ai réalisé La Mélodie puis j’ai repris le scénario de Pour la France début 2018.
Quand le romancier Ollivier Pourriol arrive dans le projet en 2018, vous vous êtes orienté vers une approche plus fictionnelle dans le scénario ?
R. H. : Non, l’idée de faire un projet fictionnel et romanesque était très importante. Ollivier a amené une forme de structuration de la pensée du film. Quand je structure le film, je sais que j’ai une partie algérienne organisée comme un conte, une partie française organisée comme Antigone et une partie taïwanaise qui est un film d’aventure. Ollivier m’a aidé à rendre ça plus limpide, plus simple. On est parti d’un scénario de 200 pages que j’avais écrites pour arriver à 96 pages.
Qu’est-ce que ça a changé pour le film d’obtenir en 2020 le grand prix des Prix du Scénario ?
R. H. : Le prix est arrivé comme un petit cadeau mais ce genre de prix ne change pas le destin d’un film je pense. Mais c’était super de l’avoir : c’est une récompense pour tout le travail qu’on avait fourni.
Vous aviez Karim Leklou en tête dès le début pour interpréter le personnage d’Ismaël ?
R. H. : Oui Karim est arrivé très tôt. On a une amie en commun, Carole Franck, qui nous a accompagnés lors de nos premiers pas d’acteurs, à des moments importants. Quand j’ai eu fini d’écrire une version assez aboutie du scénario, j’ai demandé à Carole les coordonnées de Karim. Je l’ai appelé, on a pris un café. On s’est rencontré sans rentrer dans les détails du film, juste comme ça, pour voir si on se comprenait lui et moi. La connexion était là dès le premier rendez-vous. Un mois plus tard, il acceptait. Et ensuite, on a longuement parlé de son personnage, le Covid ayant repoussé le tournage. On parlait de cinéma et ça c’est fantastique.
Les deux personnages principaux ont des caractères très différents…
R. H. : Shaïn a en lui une grande profondeur de jeu et une dualité : il y a cette douceur qu’on peut trouver de prime abord mais dans le film, on voit la dureté du personnage. Il est impitoyable avec son frère. Karim, lui, a une forme de mélancolie et habite son personnage différemment : il subit plus la violence qu’il ne l’administre. On a essayé de donner à ces personnages quelque chose d’imprévisible.
Karim, Vous avez eu besoin de beaucoup discuter en amont du tournage avec rachid pour comprendre la psyché du personnage ?
Karim Leklou : Moi j’aime bien le principe de collaboration. Je trouve qu’il y a une part d’instinct mais aussi de réflexion. Par exemple, pour marquer la temporalité qui passe, on a très vite fait le choix avec Rachid d’une perte de poids du personnage. Pour la partie taïwanaise, j’ai fait beaucoup de sport pour essayer de créer une silhouette différente de la partie française. Il y a une part d’instinct sur le moment mais on a aussi beaucoup travaillé pour laisser place à la vérité du jeu.
Rachid vous a-t-il donné des indications particulières pour votre personnage, par rapport à ce qu’il a vécu ?
K. L. : Non pas du tout. L’objet scénaristique m’a beaucoup touché, on n’a jamais été sur le terrain de la sphère privée avec Rachid. Je savais bien sûr que c’était en lien avec ce qu’avait connu Rachid mais pour autant, on est allé sur le terrain du cinéma, et uniquement sur ce terrain-là. Je trouve que c’était le terrain juste pour moi, en tant qu’acteur, de pouvoir essayer d’incarner le personnage d’Ismaël. Il y a sûrement des points de cohérence entre ce personnage et Rachid mais on n’a jamais travaillé dans cette idée de mimétisme : on a cherché à créer un personnage.
Rachid est aussi un très bon directeur d’acteurs qui ne dit pas en arrivant sur un plateau « je connais la scène ». Il ne la connaît pas. Enfin il la connaît sur le papier mais il expérimente avec vous. Il est vraiment là au plus proche de ses acteurs et il éprouve la scène, son écriture. Il n’a pas de certitude. On travaille la scène, on va dans le sentiment. En ça, c’est hyper intéressant de travailler avec lui. Je trouve qu’il est très bon juge dans le sentiment, dans la justesse. Il épaule les acteurs, il les amène ailleurs. Lubna Azabal est fantastique, le personnage de Samir Guesmi est terrifiant mais profondément humain, les personnages de l’armée ne sont pas manichéens… Ce travail de justesse du sentiment vient de Rachid.
R. H. : Parfois je peux me tromper. Une fois, j’ai écrit une scène qui était tellement nulle…
K. L. : Oui, nous on a été particulièrement nuls aussi [rires]. On est arrivé à un sommet de nullité qui était assez exceptionnel !
R. H. : Il n’y a pas d’ego sur le plateau : on se dit les choses. Quand je vois que je suis nul ou que je dis un truc qui ne marche pas. Et eux, pareil : des fois ils essaient des choses, ça marche ou ça marche pas.
K. L. : Oh oui ! [rires]
R. H. : Je pense que cette liberté de se tromper ensemble, c’est un vrai plaisir.
K. L. : Y avait un sentiment de collaboration sur le plateau, de pouvoir vraiment incarner et s’investir dans le rôle, tout en étant dirigé. Et ça c’est très plaisant.
POUR LA FRANCE, de Rachid Hami. Avec Karim Leklou, Shaïn Boumedine, Lubna Azabal… Actuellement au cinéma.
Little Marcel a rédigé cet article.