Publié le 23/03/2020 - 5 minutes de lecture

Chaque mois, je vous propose de découvrir l’origine et le sens de certaines expressions ou mots étranges encore courants dans notre vocabulaire. Arts de la table, commerce, justice, finance, architecture, monde animal, militaire et monde du jeu, autant d’univers qui ont forgé de nombreuses expressions, utilisées aujourd’hui de manière parfois totalement décalée de leur sens d’origine !

Retrouvez toutes ses chroniques par ici ! 

Mars : « Parce que nous le valons bien ! » (2/2)

Ce mois-ci sont renouvelés les édiles de nos villes et villages. À l’aune de leurs projets municipaux, ce sont eux qui décideront en partie de nos futures impositions, nous autres, pauvres hères taillables et corvéables à merci. Au fur et à mesure des mois, nous devons participer au financement de nos services publics, qui peu ou prou, répondent à nos besoins toute l’année, surtout quand la maladie guette et qu’on n’est pas dans son assiette

Au fur et à mesure

Quel étrange petit mot, ce fur, dont le sens est oublié depuis plus de 300 ans ! En effet, fur vient du forum romain, là où se pratiquaient les échanges, et où on « faisait affaire ». Il a pris le sens, au Moyen Age, du « bon prix ». Au fur, c’est : « à la bonne proportion », c’est à dire au bon prix. Au XVIIe siècle, on prend l’habitude de lui accoler les mots « et à mesure », créant immédiatement une redondance que plus personne ne reconnaît, et qui ne fait qu’accentuer son sens premier. Le sens du mot ayant peu à peu disparu des mémoires, il n’a subsisté que dans sa variante juridique, for (toujours issu du même mot, forum) : le for extérieur, c’était les affaires laïques qu’un tribunal ecclésiastique pouvait juger, et son contraire, le for intérieur, la conscience, d’où l’expression « en mon for intérieur, je suis persuadé que… ». C’est sans doute de là que vient le nom de la place devant l’évêché, la place du For, au Puy.

 

Peu ou prou

Encore un petit mot, et même deux ici, dont l’un a perdu toute son aura ! C’est que prou revient de loin, figurez-vous ! Du vieux français prud, ou proud, lui même issu du latin prode, il signifie « utile, profitable ». Du monde économique, et commerçant, le mot est passé dans le langage courant : on disait d’une personne qui rendait de bien utiles services, qu’il /elle était « preud / preude ». Et qui de mieux pour rendre des services appréciés que les preux chevaliers ? Encore utilisé au XVIIe siècle pour dire « beaucoup », prou a été progressivement délaissé, et on lui a accolé, comme pour « au fur et à mesure », un autre mot, peu, pour souligner le tout ou rien d’un choix : « ni peu, ni prou », c’est d’abord « ni peu, ni beaucoup », puis l’expression est devenue « peu ou prou », c’est à dire « plus ou moins ceci ou cela ».

 

Ne pas être dans son assiette

Loin de se contenter d’être un simple ustensile du repas, « l’assiette » a eu de bien plus grandes destinées dans le vocabulaire de nos ancêtres ! Dérivé du latin assedita, lui même issu de adsedere, « asseoir », le mot prend au XIIIe siècle un sens fiscal : l’assiette, c’est la base des impôts, celle sur laquelle le prélèvement s’assoit. On parle encore aujourd’hui « d’assiette fiscale ». Dans le même temps, le mot désigne plusieurs autres assises : celle du cavalier, puisqu’encore aujourd’hui, on parle de « l’assiette du cavalier ».  Celle aussi de l’état moral d’une personne : « manquer d’assiette » ou « sortir de son assiette » c’est ne pas avoir un équilibre physique et moral suffisant pour se tenir en société. « Ne pas être dans son assiette », c’est donc éprouver un certain malaise psychologique, en bref, être mal dans sa peau ! Quel parcours pour ce mot, tout de même ! Son usage final, comme contenant du repas, est lui-même une déformation de « l’assiette du convive », qui désignait la place que celui-ci devait tenir sur le plan de table. Avec ce petit mot dans notre vocabulaire, il y a de quoi, comme le dit avec malice Alain Rey, « en faire tout un plat ! »

 

 

 

Le mois prochain, nous parlerons de clous, de selles, de carreaux et même d’une mauvaise herbe (mais pas celle qui fait rire), car je vous propose de passer des impôts… au tribunal !

 

 

 

Source : 

> Alain REY, 200 drôles d’expressions que l’on utilise tous les jours sans vraiment les connaître, 2015.

GOUPIL(e) LE BON MOT

Goupil(e) le bon mot a rédigé cet article.

Thèmes associés