Publié le 12/04/2023 - 6 minutes de lecture

De passage à Bron pour présenter son nouveau film Le Prix du passage, le réalisateur Thierry Binisti s’est livré au traditionnel jeu des questions-réponses avec le public brondillant à l’issue de la projection.

Le Prix du passage narre la rencontre entre Natacha, une jeune mère célibataire qui a du mal à joindre les deux bouts et à élever son fils, et Walid, un Irakien en manque d’argent pour payer son passage vers l’Angleterre. Ils décident de s’associer afin de créer une filière de passages clandestins : Walid trouve les clients et Natacha se charge des trajets. Mais combien de temps se trafic peut-il durer sans embûche ?

Dans le film, Natacha aide des migrants à rejoindre l’Angleterre parce qu’elle a besoin d’argent. Son histoire est-elle un cas isolé ?

Non non. Je me suis penché sur le tribunal de Saint-Omer et il y a eu beaucoup de cas de particuliers, qu’on peut diviser en deux catégories. Ceux qui le font de façon humaniste et d’autres de manière mercantile.

Alice Isaaz | Copyright TS Productions

Pourquoi avez-vous fait le choix de vous confronter à ce sujet malheureusement d’actualité ?

Je me suis beaucoup documenté sur les migrants et je trouvais qu’un film de fiction pouvait aussi nous donner une autre approche. Le fait de raconter une histoire très précise, celle de Walid, allait nous donner un regard un petit peu différent sur ce monde qu’on connaît beaucoup par les naufrages et les statistiques. Je pense aussi que ce sujet est taillé pour le cinéma. Des questions sociétales sont parfois traitées à la télé mais pas de cette façon-là.

L’action du film n’est pas située dans une ville particulière. Était-ce un parti pris de votre part ?

Non, ça ne m’aurait pas dérangé de situer le film exactement là où il se déroule logiquement c’est-à-dire Calais. Mais on n’a pas pu tourner à Calais, on n’a pas eu d’autorisation. La ville refuse tous les scénarios qui parlent des migrants : ils ne veulent absolument pas que la ville soit rattachée à leur réalité. J’ai quand même ramené des images du port de Calais, tournées en voiture.

On est donc allé dans les villes aux alentours – Dunkerque, Boulogne-sur-Mer – pour retrouver l’ensemble des décors et en recréer certains. Effectivement, on ne sait pas trop où on est mais dans la tête des spectateurs, on sait que c’est le passage pour l’Angleterre.

Ilan Debrabant & Alice Isaaz | Copyright TS Productions

Comment avez-vous choisi Alice Isaaz et Adam Bessa pour incarner les deux rôles principaux ?

Je connaissais Alice Isaaz, pour l’avoir vue dans Mademoiselle de Joncquières, dans un rôle très différent de celui-ci. Elle est plutôt très précieuse, délicate. Là, au contraire, dans mon film, c’est quelqu’un de brut en quelque sorte. Voilà, c’est le but d’un casting : on se rencontre, on discute, on parle du personnage. Je les ai fait se rencontrer tous les deux pour voir si le « couple » pouvait marcher. Je trouvais que ça fonctionnait bien : ils avaient la jeunesse, la force, l’énergie, la lumière nécessaire. Ils ont d’ailleurs apporté beaucoup d’authenticité aux personnages.

Alice a la capacité à être dure, âpre et puis d’un coup, par un sourire, elle s’illumine complètement et change de nature. On ne ressent absolument plus la même chose d’une seconde à l’autre vis-à-vis d’elle. C’est ça qui m’a beaucoup séduit. C’est un rôle important pour elle car c’est la première fois qu’elle porte un premier rôle et elle le fait magnifiquement bien. Quant à Adam, c’est un comédien qui monte beaucoup en ce moment. Il a eu un prix d’interprétation à Cannes l’année dernière dans la sélection « Un certain regard » [pour le film Harka, ndlr]. Il tourne beaucoup car il a cette force et cette intensité.

Adam Bessa & Alice Isaaz | Copyright TS Productions

Comment s’est déroulé le tournage ?

C’est un film fait en annexe 3, c’est-à-dire avec un tout petit budget. Une communauté de techniciens et de comédiens se crée sur le tournage : on est tous payé la même chose, on donne tous beaucoup de nous-même pour que le film existe. Je trouve que ça a donné un état d’esprit au film. On a tourné très vite, avec peu d’argent et c’était en fait cohérent par rapport au sujet qu’on traitait. Il y avait une évidence à devoir tourner vite, trouver des solutions pour chaque chose, à être dans cette urgence-là. C’est aussi comme ça qu’on arrive à faire des films parfois car si on devait attendre d’avoir tout le budget nécessaire, ce serait impossible.

Vous avez réalisé de nombreux téléfilms : est-ce que vous travaillez de la même manière pour le cinéma et pour la télévision ?

A partir du moment où il y a une caméra et des comédiens, je me dis que c’est le même métier, ce que je pense vraiment. La différence est qu’à la télé, on raconte une histoire où le réalisateur n’est pas obligé de se raconter à travers l’histoire qu’il filme. Au cinéma, le spectateur attend de savoir ce que le réalisateur comprend de cette histoire et ce qu’il a à nous en dire. Mais rien n’empêche à la télévision de mettre ce qu’on ressent et ce qu’on a envie de dire sur ce qu’on filme. Voilà, un film de cinéma a vraiment besoin d’être nourrit par le regard du réalisateur, finalement beaucoup plus qu’à la télévision.

LE PRIX DU PASSAGE, de Thierry Binisti. Avec Alice Isaaz, Adam Bessa, Ilan Debrabant… Actuellement au cinéma.

Retrouvez sur bonjourmarcel.fr nos précédentes rencontres avec les équipes des films Pour la France, Arrête avec tes mensonges et Toi non plus tu n’as rien vu !

Little Marcel a rédigé cet article.

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