Publié le 13/02/2020 - 5 minutes de lecture

Un nouveau chroniqueur dans l’équipe : Brand, qui a décidé d’aiguiser sa plume joliment sarcastique pour vous proposer des nouvelles aux thèmes variés : écologie, balade, radioactivité, déception amoureuse… Bienvenue dans Bonsoir MARCEL.

Ce matin, l’air est limpide et laisse admirer un horizon très lointain. La forte gelée de la nuit a enrobé le pâturage devant chez moi d’un beau givre cristallin. À mon réveil, c’est une magnifique journée qui s’annonce. Après de revigorantes pandiculations dans mon lit, accompagnées de long râles et bâillements délivreurs de mon profond sommeil, c’est en descendant l’escalier qui mène au séjour que je découvre ce satisfaisant paysage. Le carrelage tiède sous mes pieds nus est, à ce moment, la meilleure chose qui soit.

Il y a des matins qu’on ne voudrait pas vivre. Par exemple celui qui précède la journée de travail, qui nous arrache par la brutalité du réveil, à une nuit de cinq heures. Et qui nous précipite à demi-nu dans un vestiaire garnis de fielleux collègues de travail, ignorant ainsi sans pitié notre pudeur matinale.

Mais ce matin-là, celui d’aujourd’hui, est parfait.

En caleçon, je vais à la salle de bain faire ma toilette de chat, et une fois mon corps lavé et rafraîchit, j’allume la cafetière. Le bruit de la vapeur qui s’échappe et l’odeur des premières gouttes de café, me font doucement saliver. Avec un soupçon d’impatience, je coupe deux généreuses tranches de pain que je place dans l’appareil qui est destiné à les faire griller. Juste un peu trop larges, je les tasse pour qu’elles grillent bien uniformément.
Avec mon smartphone, je connecte mon système hi-fi à Spotify, et lance « Summer » de Sum41. L’apothéose est atteinte, quelle décharge d’endorphine en moi ! Soudain je rêve de conduire un pick-up sur une plage de Californie, de faire du feu à la tombée de la nuit avec des étudiantes Américaines. J’ai envie de manger des céréales Cheerios, d’aller à un concert de Sum41, je me sens beau et invulnérable. Ma vie, à partir de ce moment, ne peut être qu’une réussite !

Mais soudain Sum41 arrête de jouer ! Quelle sensation atroce, mon cerveau attend chaque note de ce fabuleux morceau, et d’un coup plus rien !

Ces putains de tranches de pain ont fait cramer le grille-pain. Ou plus exactement c’est le grille-pain qui n’a pas supporté les tranches ! Elles n’étaient pas si grosses que ça après tout ! Cet immonde petit appareil, gagné lors de je ne sais quelle loterie, a décidé de bousiller ma matinée. Cette sous-espèce d’électroménager, lamentablement assemblé au Bangladesh, a fait sauter le compteur électrique de la maison. Plus de musique, plus de café, plus de tartines, plus de rêves, et bientôt plus de carrelage chauffant. Ma respiration s’accélère, mon pouls de même, mes muscles se tendent, et mes yeux se froncent. A ce moment, un courroux des plus démoniaque s’élève en moi ! Je vais éventrer le grille-pain !

Sans perdre la raison, je débranche cette salope de machine et cours remettre le compteur en marche. Le café coule à nouveau, j’en aurai grand besoin dans quelques secondes. Le carrelage se remet à chauffer, inutile d’aller mettre des chaussettes, j’assassinerais le grille-pain en caleçon ! La musique n’est pas repartie, ça n’est pas grave, j’entendrai mieux ses entrailles se fissurer.

Le satané a refroidi, je plonge mes mains dans ses orifices béants à côté des tartines encore chaudes et j’exerce une force diabolique pour tenter de le déchirer. Le bougre résiste, je le cogne de toute mes forces avec mon poing droit, fracturant sa carapace en plastique Bengali.

-Et là ! Et là, je t’ai pas niqué enfoiré !? Je vais les récupérer mes tartines ! Hooo que oui ! Allez, fils de pute, je vais te crever maintenant !

De ma caisse à outils, je sors un tournevis de quarante centimètres de long, le plante en plein cœur de l’artefact déjà mal en point. Je fais levier pour en écarter ses parois, libérant enfin les tartines à peine grillées. Je réserve ces dernières délicatement dans une petite assiette et tourne immédiatement mon regard vers celui qui est à l’origine de mon malheur, je le saisis par la queue, et après lui avoir fait prendre un élan considérable en l’air, je le fracasse sur le carrelage.

-Yaaaaaaaaaaahaaaaaaaaaaaaaaa !

Sa dépouille, déjà mortelle au moment de l’impact, se disloque en d’innombrables morceaux.

Justice est rendue, le déchet qu’il est finit à la poubelle, un petit crachat couronne mon action d’un mépris le plus total. Ma respiration reprend un rythme normal, mon cœur se calme, je me détend, et un sourire revient animer mon visage. Je peux à présent appliquer le beurre et la confiture sur le pain grillé, boire un café bien mérité, remettre progressivement la musique.

… Se faire emmerder comme ça dès le matin, non mais sans déconner !

Une question me vient alors… Comment réagirais-je dans un futur où mes propres enfants, pervertis par l’oisiveté, seraient à l’origine d’un tel désappointement ?

BRAND

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