Publié le 29/03/2020 - 7 minutes de lecture

Brand, l’un de nos derniers chroniqueurs a décidé d’aiguiser sa plume joliment sarcastique pour vous proposer des chroniques aux thèmes variés : écologie, balade, radioactivité, déception amoureuse… Voici une nouvelle fiction, qui s’ajoute à sa chronique “Bonsoir MARCEL” que vous pouvez retrouver ici. En période de confinement, vous apprécierez nous en sommes certains ces petits moments de lecture hors du temps.
Bonne lecture.

Comme beaucoup d’histoire, celle-ci commence par une matinée ensoleillée et un café.

Dans mon appartement de quarante-neuf mètres carrés, il est huit heures trente, l’air est frais dehors et me pousse à vite refermer la fenêtre que j’avais ouverte pour entendre le mélodieux chant des oiseaux. S’il y a bien une chose agréable ces temps-ci, c’est le quasi-silence citadin. Justement, à cette heure, seuls les êtres non éduqués se permettent de semer le trouble : les oiseaux, les mouches, quelques personnes en errance, les chats et les pigeons. Je ne place pas les pigeons parmi les oiseaux, non, je les trouve laids, impotents, nonchalants, curieux et paresseux… bref, ils n’ont des volatiles que les ailes, et ils les déploient disgracieusement.

Huit heures trente et une, ça y est l’ennui s’empare de moi. Ce n’est pas que d’habitude j’ai une vie trépidante dès le matin, mais je vois déjà le film du déroulement de mon insipide journée, et surtout je vois le canapé qui semble m’attendre. Alors bon, pourquoi solliciter mes jambes une seconde de plus, puisque de tout façon, il est autorisé de s’en servir véritablement que soixante minutes dans la journée.

Sur ce canapé d’une assise de 120 centimètres je vais passer environ douze heures, le reste du temps je serais assis aux toilettes pour faire mes besoins, debout dans la cuisine pour cuisiner, debout dans le salon pour jouer un peu de guitare, debout dans la rue pour marcher, puis allongé dans mon lit pour prendre mon sommeil.

Mais avant tout ça, une bonne dose d’internet s’impose. Les nouvelles, plus ou moins anxiogènes, sont quand même importantes, au moins pour se tenir au courant des restrictions qui fleurissent de jours en jours. D’ailleurs il n’y a pas que les restrictions qui fleurissent. Les fleurs aussi fleurissent, car c’est le printemps ! J’ai trente et un an, et je pense que celui-ci est dans le top trois des plus beaux printemps que j’ai vécu. Sur le plan floral tout du moins. Sur les autres plans, il est dans le top deux des pires. Le pire fût un printemps qui me fit connaître les anxiolytiques, les antidépresseurs et le psychiatre. Enfin… je m’égare.

De nature contemplative je vais surmonter cette période assez facilement, j’en suis sûr. Mais comme j’éprouve de l’amour pour mes amis, il est assez pénible de se passer d’eux.

En plus d’être contemplatif, je suis cuisinier, alors arrive le seul moment intéressant de la journée : la préparation du repas. Aujourd’hui, courgette et pommes de terre sautées, quelques dés de lard fumé, le tout bien aillé et persillé. Du pain frais, un verre de Crozes-Hermitage et un bout de tome aux artisous. Tout de même ça n’est pas l’occupation !

Le repas pris, un bon café et une douce sieste en écoutant les oiseaux chanter. C’est un moment réparateur après lequel l’ennui peut reprendre avec vigueur.

Les soixante minutes de liberté attribuées par le premier ministre sont les bienvenues. La première journée de port du short, c’est aujourd’hui ! Je vis les premiers pas à l’extérieur comme un soulagement, mais au bout de cinq minutes c’est dur, il n’y a personne avec qui partager le soleil et le chant des oiseaux. Des réflexes de la vie d’avant resurgissent, « Quel bar est ouvert ? Lesquels de mes amis sont disponibles ? Il faut que j’aille visiter mes grands-parents à la campagne ! ». Pour une fois, une seule réponse règle toutes les questions : c’est interdit. L’heure à peine écoulée, je rentre chez moi, au moins, j’aurai mon ordinateur.

En ces temps troubles, il est de coutume de partager avec son voisinage la musique que l’on écoute ou que l’on produit. A l’image des DJ Italiens, ou chanteur d’opéra Parisien qui animent les quartiers confinés dans un élan de solidarité, je décide de faire de même, j’ouvre donc les fenêtres et monte à fond le son de mon système audiophile. À mes voisins je fais découvrir Power Trip. Power trip c’est du Metal, du Crossover/Thrash. Le Crossover est un sous-genre extrême et agressif de Metal dérivé du Thrash Metal et du Punk Hardcore. Respectivement dérivés du Speed Metal, et du Punk Rock. Eux-mêmes dérivés du Heavy Metal et du Rock. Les thèmes abordés par Power Trip sont, entre autres, la mort et la décapitation. De toute façon je ne comprends pas bien ce qu’ils chantent, mais ils crient et jouent très fort, sûrement drogués et alcoolisés. Je doute que mon voisinage ecclésiastique apprécie grandement ce moment de culture, mais bon, moi en musique sacrée, je n’y connais rien.

Plus tard, j’improvise un solo de guitare sur un morceau de Noir Désir, une note sur trois est fausse, je suis un novice. J’implore alors la clémence de mes voisins, demain ils découvriront Pig Destroyer et le jour d’après Dying Fetus.

Après ces péripéties musicales arrive le moment du repas du soir. De nouveau je me sens vivre, je vais préparer du porc au caramel, une recette asiatique qui comporte encore beaucoup de secrets pour moi, après une brève recherche sur Google, je me mets à l’œuvre. Le bouillon de cuisson sent bon, l’appartement s’embaume de cette parfaite odeur de restaurant thaï, je suis sur la voie de la réussite. L’appel d’un ami me pousse à décrocher le téléphone, ce qui précipite ma réussite en échec, le porc au caramel brûle au fond de la casserole comme un vulgaire bout de bois. Voilà comment finir en beauté une journée de confinement, mon repas du soir se restreint à quelques poignées de muesli et une infusion. Je ne sais même plus le contenu de la conversation au téléphone avec mon ami.

Le point sur les nouvelles nationales à vingt et une heures, le nombre de morts de la journée est supérieur à celui d’hier, parfait, c’était prévu.

Avant d’aller au lit je fais défiler Facebook, regarde les filles aguicheuses que l’on me propose comme amies, elle se présentent comme des putes avec des talons de hauteur considérable, les jambes dénudées jusqu’à dix centimètres de la culotte. D’autres mettent en avant leur poitrine dans des maillots de bain trop petits. Quelques vidéos que je regarde en vignette, sans même mettre le son, puis il est temps d’aller au lit, les yeux irrités par l’écran et les fesses engourdies par les douze heures de canapé.

Bonne Nuit Marcel…

BRAND

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