Publié le 22/04/2020 - 4 minutes de lecture

Chaque mois, je vous propose de découvrir l’origine et le sens de certaines expressions ou mots étranges encore courants dans notre vocabulaire. Arts de la table, commerce, justice, finance, architecture, monde animal, militaire et monde du jeu, autant d’univers qui ont forgé de nombreuses expressions, utilisées aujourd’hui de manière parfois totalement décalée de leur sens d’origine !

Retrouvez toutes ses chroniques par ici ! 

Avril : « C’est pô juste ! » (1/2)

« Accusé, levez-vous ! », c’est bien ce qu’on aimerait entendre si notre bête noire du moment, le COVID-19, pouvait être sur la sellette ! Lui qui a semé la zizanie dans le monde entier, alors que c’est un pauvre pangolin qui a été cloué au pilori à sa place ! Mais notre virus n’est pas justiciable, et il ne nous reste plus qu’à nous tenir à carreau le temps que passe la tempête…

Être cloué au Pilori

L’expression associe deux mots qui ne le sont pas en réalité car le pilori n’est pas une croix, et vice versa, on ne cloue personne sur un pilori. Mais l’évocation de la crucifixion (et notamment celle du Christ), ajoutée à ce châtiment de la justice médiévale, ajoute à l’effroi de la situation !

Le pilori, que l’on peut voir reconstitué dans certains sites médiévaux, est une peine infamante qui consistait à entraver le condamné sur un assemblage de bois surmonté de deux planches entre lesquelles on insérait la tête et les poignets (le carcan). Ainsi attaché, pour plusieurs heures ou parfois plusieurs jours, le malheureux était soumis aux injures, crachats et autres jets peu ragoûtants des autres membres de la communauté. En mode plus « léger », le carcan seul pouvait être utilisé et on entraînait ainsi le condamné dans les rues en le tirant avec une chaîne ou une corde. On pouvait aussi trouver des piloris très simples, des « piliers » (du latin pila) plantés en terre, ou bâtis en pierre. La punition n’était pas mortelle, quoique très inconfortable, mais elle laissait des traces en terme d’honorabilité publique. Les condamnés au pilori s’en sortaient par une humiliation qui les forçaient bien souvent à fuir leur communauté villageoise. Pour voir des exemples de piloris reconstitués, c’est par ici.

Se tenir à carreau / rester sur le carreau

Cette expression a plusieurs origines, et les hypothèses ne manquent pas !

Le carreau, c’est d’abord la flèche de l’arbalète. Rester sur le carreau, c’est être touché mortellement par un arbalétrier. Mais se tenir à carreau peut signifier « se tenir éloigné des carreaux d’arbalète », dans une bataille, donc se cacher. L’idée de cachette se retrouve aussi dans celle du carreau, le morceau de terre cuite appelé aussi tomette, qui tapissait le sol des maisons bourgeoises. Celui qui se tient à carreau reste cloîtré chez lui, discrètement… Le carreau a fini par désigner, dans l’argot policier, la maison. Une autre idée encore voudrait que le carreau désigne la carrette, c’est à dire la chambre, donc un lieu secret où se cacher…

C’est enfin au tribunal qu’on retrouve l’expression : sous la Révolution française, à Paris, la salle des audiences était séparée en deux parties distinctes, matérialisées au sol dans leur architecture même : le parquet, où se tenaient les représentants de l’Etat, de la défense et la cour (d’où la formulation : « le parquet a fait appel », en parlant du procureur), et le fond de la salle, juste après la porte d’entrée, carrelée à la Chancellerie, où se tenait le public qui n’avait pas le droit de s’exprimer. Se tenir à carreau, c’est se faire tout petit, discret. Un dicton aux cartes le dit très bien : »Qui se tient à carreau n’est jamais capot. »

Le mois prochain, nous parlerons d’escaliers, de « radar », de méchants pas si méchants et enfin de rythme… Bref, si vous n’avez pas bien vu le rapport, nous parlerons du monde des armes et des armées !

Source : 

> Alain REY, 200 drôles d’expressions que l’on utilise tous les jours sans vraiment les connaître, 2015.

GOUPIL(e) LE BON MOT

Goupil(e) le bon mot a rédigé cet article.

Thèmes associés